Mikel Laboa, la mort d’un poète


Mikel Laboa est mort. Apprendre aux autres la mort d’un poète, c’est commencer par dire qu’il vivait. Dans le cas de Mikel Laboa, sa vie, sa vie de poète, sa vie de pédopsychiatre, sa vie de pédiatre consacrée aux enfants autistes, son exhortation à la vie, l’incantation à la vie que porte chacune de ses chansons, sont connues dans le monde entier. Joan Baez a chanté Mikel Laboa. Bob Dylan a voulu partager la dernière scène de Mikel Laboa. C’était le fameux “Concert pour la paix” sur la plage de Donostia, le 11 juillet 2006. La Kelly Family, oui, les Irlandais d’Amérique, l’a inscrit à son répertoire. On s’interrogera plus tard sur le silence très compréhensible qui a entouré dans nos contrées la mort de Mikel Laboa. Un silence tricoté d’ignorance et de mépris.

Né à Pasaia (province du Guipúzcoa), le 15 juin 1934, gravant son premier 45-tours à Bayonne en 1964, Mikel Laboa est mort le 1er décembre à Donostia Saint-Sébastien. Chanteur emblématique du Pays basque, il chantait ceci, de Josean Artze : “Si je lui avais coupé les ailes/Il aurait été à moi/Il ne serait pas parti/Mais ainsi, il n’aurait plus été un oiseau/Et moi/C’est l’oiseau que j’aimais.” Artze, dont Laboa a mis onze poèmes en musique, dit de son ami : “Il nous a indiqué trois voies : la recherche de la chanson ancienne, celle que nous avions tous oubliée, à laquelle il donnait une touche très personnelle. Puis, la poésie contemporaine et les textes empruntés à Bertolt Brecht ou Joyce. Et, enfin, cette percée expérimentale, faite de cris et de sons inventés, que l’on retrouve dans ses grandes séries autour du nom du port de Leikeitio.”

Douce et comme ensauvagée, sylvestre, sa voix monte de ses recherches. Laboa sait parler sans mots. Il profère des sons. Il sort de la langue pour mieux la rejoindre. Très attentif au Roy Hart Theatre (très attentif à tout), il avait creusé sa pratique, ses performances et ses expériences d’improvisation. Souvent il s’évadait, chantait Brel (extraordinaire version bilingue de Ne me quitte pas), Brassens, Ferré, rendait hommage à Billie Holiday comme à Björk. On reprend ses chansons dans les fêtes les plus débridées comme si elles venaient de la nuit des temps (Txoria Txori). Elles en viennent, mais demain. Etrange comme on se souvient de la voix des disparus. C’est qu’ils reviennent pour nous, chanter dans les rêves. Ceux qui n’entendent jamais les voix des disparus, ceux qui n’entendent pas de voix, ne sont pas à plaindre.

Le refoulement est leur fonds de pension. De sa façon d’aborder la guitare qui semblait simple (voir Brassens), qui ne l’était pas (voir Brassens), Beñat Achiary dit : “Il s’était fait comme une technique qui offre des solutions à la durée. De telle sorte que le chant pouvait rester suspendu. Il changeait très peu d’accords, mais toujours au bon moment. Sa voix se fondait aux éléments, c’était une voix de pluie, une voix des montagnes.” Dans les années 1960, sa tribu, Ez Dok Amairu (“Nous ne sommes pas treize”) rassemblait des sculpteurs, des poètes, des artistes. Franchement, le franquisme les aura détestés.

Tout le rock actuel, au Pays basque, vient de son expérience et de sa trace. L’album collectif Txeroki le célèbre (1990). Voir le Cherokee de Charlie “l’oiseau” Parker. Histoires d’oiseaux et d’Indiens. Son entourage a désiré que les cendres de Laboa fussent répandues, sans cérémonie religieuse, le 7 décembre, sur le mont Agiña, en l’absence de caméras, d’appareils photo et de tous ces indiscrets joujoux. Le lendemain, son ami croyant Josean Artze monte à l’Ermitage San-Esteban, pour demander une messe. Quelqu’un est déjà venu, lui fait l’abbé : Alvaro, un homme un peu simple que le docteur Laboa avait traité, voici quarante ans.

Publicado por Le Monde-k argitaratua